Me Alain Barrette

UNE GRILLE D’ANALYSE COMPLÈTE POUR LES REQUÊTES POUR ÊTRE RELEVÉ DU DÉFAUT D’INSCRIRE

Par : Me Alain Barrette

Une partie demanderesse demande d’être relevée de son défaut d’inscrire avant l’expiration du délai de 180 jours. La Cour supérieure refuse et la demanderesse se pourvoit en appel. La Cour d’appel (motifs du juge Robert Mainville) rejette le pourvoi en faisant une revue détaillée des principes applicables en les systématisant dans une grille d’analyse qui, souhaitons-le, servira de référence afin de répondre à toute demande en ce sens dans l’avenir. En principe, cette décision devrait être la décision phare en la matière.

L’action est signifiée le 21 mai 2012 et l’échéancier, signé le 26 juillet 2012, prévoit la production d’une inscription le 12 novembre 2012 au plus tard.

Un interrogatoire a lieu en août 2012. Quatre-vingts objections sont formulées et vingt-six engagements sont souscrits par la demanderesse. Les engagements ne seront pas fournis dans les délais prévus à l’échéancier.

La veille de la date d’expiration du délai pour inscrire, une requête en prolongation de délai est signifiée. La Cour accueille cette requête et prolonge le délai au 27 février 2013, en imposant aux parties de déposer un nouvel échéancier lors du débat sur les objections, qui aura lieu le 5 février 2013. Or, les parties ne déposent aucun échéancier et le délai pour inscrire expire sans le dépôt d’une inscription. Il y a désistement réputé (274.3 C.p.c.).

Environ 4 mois plus tard, la demanderesse fait signifier une requête en prolongation de délai. À l’audition, la demanderesse réalise son erreur procédurale et demande verbalement d’être relevée de son défaut d’inscrire. La Cour refuse mais lui accorde jusqu’au 26 juin 2013 pour faire signifier sa requête écrite, qui ne le sera finalement que le 17 juillet suivant. À son soutien, elle y allègue des modifications à son système de comptabilité et ses propres activités commerciales. Cette requête est rejetée (Juge Danielle Turcotte) vu le manque de rigueur de l’appelante et l’absence d’affidavit d’un représentant de la demanderesse.

La Cour d’appel énonce l’obligation de franchir deux étapes pour permettre à une partie d’être relevée de son défaut d’inscrire selon 110.1 C.p.c. :

  1. Première étape: La partie doit démontrer son impossibilité, en fait, d’agir dans le délai prescrit :
    • Il s’agit non pas d’une impossibilité qui résulte d’un obstacle invincible et indépendant de la volonté de la partie défaillante, mais d’une impossibilité « relative » – application de St-Hilaire c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 235, par. 86 ;
    • L’impossibilité d’agir est celle de la partie elle-même et non celle de son procureur, même si ce dernier commet une négligence grossière – application de Cité de Pont-Viau c. Gauthier, [1978] 2 R.C.S. 526 (note 1, p. 527) + Québec (Sous-ministre du Revenu c. Stever, 2007 QCCA 257, par. 5 ;
    • Le fardeau de démonstration de l’impossibilité d’agir repose sur la partie défaillante et la preuve doit être suffisamment « claire et convaincante » pour satisfaire au critère de la balance des probabilités – application de H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41, par. 46 ;
  2. Deuxième étape: Le tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire en suivant les considérations pertinentes dont les principales sont les suivantes :
    • Le préjudice résultant de la décision :
      • Obligation de payer les frais résultant du désistement réputée si refus de relever du défaut d’inscrire. Ce préjudice est peu important – Genest c. Labelle, 2009 QCCA 2438, par. 44-48 ;
      • Perte de droits résultant de la prescription par la partie défaillante – perte du bénéfice de la prescription par l’autre partie (préjudice à double sens) ;
    • Le caractère apparemment sérieux du recours : Ce critère est relié au préjudice relié à la prescription du recours. La requête pour être relevé du défaut devrait être rejetée si le recours ne présente pas une chance raisonnable de succès, est manifestement sans fondement ou est futile ;
    • Le temps écoulé depuis l’expiration du délai. Il se divise en deux périodes :
      • Celle entre la date limite pour inscrire et celle où le retard est constaté : Ce délai est justifié si sa durée est compatible avec l’erreur alléguée ;
      • Celle entre la date de constatation de l’erreur et la date de signification de la requête : cette période doit être « très courte » ;
    • Le comportement à l’égard du déroulement de l’instance – deux types :
      • L’erreur de bonne foi, qui peut résulter d’une négligence, même grossière. Exemple : L’omission d’inscrire la date limite pour inscrire à l’agenda ou l’inscription d’une date erronée ; l’ignorance de la nécessité d’inscrire à l’intérieur du délai de 180 jours ; la croyance erronée d’avoir produit l’inscription ;
      • La négligence grave, désorganisation générale ou insouciance à l’égard du déroulement de l’instance. Ce type de comportement entraîne le rejet de la requête.
        • À l’inverse, si ce comportement émane de la partie adverse, le tribunal serait bien fondé d’accueillir la requête ;
        • Si la partie elle-même ignore les manquements de son procureur, il s’agit d’un facteur atténuant et il lui appartient d’en faire la preuve (par affidavit) ;

En l’espèce, la Cour estime que la première étape est franchie puisque l’impossibilité d’agir résulte d’une erreur de l’avocat qui aurait omis de noter à son agenda la bonne date d’expiration du délai pour inscrire. Cependant, cette erreur peut être prise en compte dans le cadre des considérations pertinentes à l’exercice de la discrétion judiciaire du tribunal dans la deuxième étape. La Cour estime que le tribunal de première instance a bien exercé sa discrétion en rejetant la requête pour les motifs suivants :

  1. Critère 2a)ii) : La réclamation n’est pas prescrite, sauf pour une petite partie qui concerne une réclamation concernant la perte de revenus bruts, dont le sérieux est questionnable puisque seule la perte de profit peut être réclamée (critère 2b)) ;
  1. Le délai couru entre le 26 juin (date prescrite par le tribunal pour faire signifier une requête écrite pour être relevé du défaut d’inscrire) et le 17 juillet, date où la requête est signifiée, est inexpliqué ;
  1. Il y a négligence grave, désorganisation générale ou insouciance à l’égard du déroulement de l’instance (Critère 2d)ii)), en ce que :
    • Les engagements souscrits n’ont pas été fournis dans le délai prévu à l’échéancier (31 août), malgré 3 lettres à cet effet demeurées sans réponse. Une partie des engagements seulement est transmise le 17 octobre et ne seront jamais tous transmis ;
    • Trois lettres requérant les disponibilités des procureurs pour faire trancher les objections demeurent sans réponse ;
    • La veille de l’expiration du premier délai pour inscrire, une requête en prolongation est signifiée et la gestion particulière de l’instance, qui devait être discutée lors du débat sur les objections le 5 février 2013, ne le sera pas ;

La date du 21 juin 2013 inscrite à l’agenda comme date ultime d’inscription est une erreur de taille « qui s’inscrit dans ce contexte global de gestion insouciante de l’instance et du dossier ». Note : la partie elle-même admet l’insouciance de son procureur qui aurait été congédié du cabinet d’avocats où il exerçait. La Cour estime que même s’il s’agit du manque de diligence du procureur, et non de la partie elle-même, l’imposition d’une sanction – même sévère – se justifie – application de Genest c. Labelle, 2009 QCCA 2438 (par. 39) et de 6270791 Canada inc. c. Cusacorp Management Ltd., 2010 QCCA 1814 (par. 37). La Cour ajoute que la partie elle-même est responsable du délai puisqu’elle « était trop occupée pour fournir les réponses aux engagements. ».

Sur la question spécifique du pouvoir de révision de la Cour d’appel :

  1. Au sujet de la première étape : Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante à moins que le juge de première instance n’ait commis une erreur de principe ou de droit isolable, auquel cas l’erreur peut constituer une erreur de droit (par. 18) ;
  1. Au sujet de la deuxième étape : la décision n’est révisable que si elle est abusive, déraisonnable ou non judiciaire, i.e. fondée sur des considérations erronées, et commande une grande référence (par. 23) ;

En l’espèce, la juge de première instance n’a pas rendu une décision abusive ou fondée sur des considérations erronées et l’appel doit échouer.

Conclusion : La négligence de l’avocat est tantôt source de perte de droit, tantôt non, selon l’appréciation de critères dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du tribunal certains facteurs sont pondérés les uns par rapport aux autres. Il convient de noter un durcissement des tribunaux à l’égard des demandes pour être relevé du défaut d’inscrire, et la partie elle-même doit être pratiquement irréprochable dans la conduite de son dossier. En l’espèce, la non-prescription du recours et la négligence de la partie elle-même à fournir des engagements ont joué contre elle.

** Les articles précités sont ceux du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25.

 


Source : 2949-4747 Québec inc. c. Zodiac of North America inc., 2015 QCCA 1751 (le 21 octobre 2015).