Chloé Parent-Lemieux

DU DOSSIER SUSPENDU AU FIASCO JURIDIQUE

Par : Chloé Parent-Lemieux

Du dossier suspendu au fiasco juridique

Le 1er avril 2009, le recours en dommages compensatoires et moraux de Dany Villanueva et de la succession de Fredy Villanueva fut suspendu par l’honorable juge Jean-Francois de Granpré, afin de laisser l’enquête publique suivre son cours. On se rappellera que l’affaire avait été très médiatisée, s’agissant de la mort par balle d’un jeune homme de dix-huit ans sans antécédent judiciaire,à la suite d’une intervention policière,

Dans sa décision, le juge de Granpré énonçait que le délai de rigueur de 180 jours recommençait à courir suite au dépôt du rapport du coroner. Ce dernier fut publié le 17 décembre 2013, le délai pour inscrire expirant désormais le 27 avril 2014. Or, ce n’est que le 31 décembre 2014 que l’avocat des parties fait signe de vie en signifiant un nouvel avis de présentation afin de réactiver la demande. Jugeant cette manière de procéder inappropriée, l’honorable juge David Collier ordonne à l’avocat de procéder par requête appuyée de déclaration sous serment justifiant les délais. De ce fait, l’avocat des parties présentera le 19 février 2016 une requête en annulation de la suspension d’instance, soit un an après la date de présentation initiale et 10 mois après l’expiration du délai pour inscrire la demande pour enquête et audition. Le retard total était de 22 mois.

Les remarques préliminaires du jugement donnent le ton à ce qui est à venir. En effet, l’honorable William Fraiberg indique que la requête serait à prime à bord irrecevable puisqu’elle n’a aucune finalité reconnue. Il écrira :

 [85]        Quand comme en l’espèce la défense est écrite, à défaut de convention ou autorisation de défense orale[1] le délai est plutôt pour l’inscrire pour enquête et audition et cela dans les 180 jours à compter de sa signification à moins d’être prolongé par la Cour dans ce même délai en raison de la complexité de l’affaire ou des circonstances spéciales; ou le cas échéant, en dehors de ce délai pour les mêmes motifs si la partie demanderesse démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir à l’intérieur du délai.

[86]        Plus d’un an après être réputés s’être désistés de leur demande en vertu de l’article 274.3 ACPC, aucun des demandeurs ne reconnaît même pas son défaut de l’avoir inscrite dans le délai de rigueur.

[87]        Aucun ne demande donc d’être relevé du défaut pour avoir été dans l’impossibilité en fait d’agir et aucun ne demande de prolonger le délai d’inscrire dès son expiration le 25 ou 27 avril 2014 jusqu’à six mois du jugement à intervenir.

[88]        Les demandeurs et leurs procureurs ont fait preuve d’une négligence caractérisée dans la conduite de leur recours.  Ils n’ont fourni aucune explication le moindrement raisonnable pour expliquer ou justifier cette négligence.

Afin de décider si la Cour allait user de sa discrétion pour relever les demandeurs de leur défaut d’inscription, le juge devait préalablement étudier la question de l’impossibilité du fait d’inscrire dans les délais de rigueur. Le juge Fraiberg arrive à la conclusion que : « son défaut d’inscrire la demande à temps résultait d’une insouciance flagrante, de sa négligence grossière ou de son ignorance d’une règle fondamentale de la loi régissant la procédure civile, laquelle constituerait elle-même de la négligence grossière dans les circonstances.  Il semble avoir tout simplement abandonné le dossier ».

Se basant sur l’arrêt Zodiac (1) le juge Fraiberg énonce que bien que l’avocat ait failli à ses obligations, les demandeurs peuvent demander à être relevés de leur défaut en raison d’une impossibilité en fait d’agir. Pour ce faire, le juge doit pondérer quatre considérations :

  1. le préjudice qui résultera de la décision
  2. le caractère apparemment sérieux du recours
  3. le temps écoulé depuis le délai
  4. le comportement à l’égard du déroulement de l’instance

Concernant le préjudice, la Cour arrive à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’une considération déterminante puisque les demandeurs peuvent toujours poursuivre leur avocat couvert par le Fond d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec. De plus, la considération du temps vient aussi amoindrir les chances de réussites de la requête puisque les délais d’inscription, ainsi que ceux liés à la requête pour être relevés du défaut sont aux dires de la Cour « exorbitants et injustifiables ».

Suite à son analyse, la Cour conclut que :

[141]     En conséquence de sa pondération des quatre considérations prescrites par l’arrêt Zodiac, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu de relever les demandeurs de leur défaut d’inscrire les deux demandes dans le délai obligatoire de l’article 110.1 ACPC à supposer que l’insouciance ou la négligence grossière de leurs avocats constituait une impossibilité en fait pour eux d’agir.

S’agissant d’un recours de plus d’un million, il est à parier que le Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec aura certains échos de l’affaire…

(1) 2949-4747 Québec inc. c. Zodiac of North America Inc., 2015 QCCA 1751

 


Sources :Villanueva c. Montréal (Ville de) 2016 QCCS 2366