Me Alain Barrette

Série de vidéos éducatives sur YouTube en droit des affaires

Par : Me Émilie Chevrier

Une série de vidéos éducatives est disponible gratuitement sur YouTube sur la chaîne « Lancer en affaires » du Centre de formation professionnelle Pierre-Dupuy pour tout entrepreneur ou startup qui désire démarrer une entreprise.

Voici quelques titres disponibles :

C’est avec fierté que l’étude Barrette & Associés Avocats souligne le travail de son associé Me Jean-Sébastien Boucher qui est l’auteur et l’animateur de cette série de vidéos.

Une autre chaîne « SAJE accompagnateur » sur YouTube propose des témoignages d’entrepreneurs ainsi que des tutoriels utiles pour tous les créateurs d’entreprises. Me Boucher est présent sur cette chaîne et offre des informations juridiques gratuites dans le cadre des trois vidéos suivantes :

Me Boucher, vulgarisateur inné, est également présent sur la chaîne « Coach Alex Migneault » et donne de judicieux conseils pour les jeunes entreprises, les entreprises de cinq ans et plus ainsi que les entreprises de dix ans et plus.

Me Boucher est spécialisé en droit des affaires et donne de nombreuses conférences et formations à travers la province de Québec pour une clientèle variée d’entrepreneurs en démarrage et en croissance.

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Ouistiti

Se faire justice à soi-même… ou comment perdre ses droits

Par : Me Pascale Jolivet

« Le geste criminel intentionnel […], le méfait, le sabotage commercial résultant du blocage d’accès aux produits qui étaient le fruit du travail pour lequel [un employé] était engagé et qui était issu des heures pour lesquelles il réclame paiement, constituent une fin de non-recevoir opposable à son recours » contre son employeur pour salaire et congés annuels impayés. Le fait que les actes posés l’ont été après que l’employeur se soit retrouvé en défaut n’a pas pour effet d’empêcher la non-recevabilité de l’action. Voici ce qu’a décidé l’Honorable juge Jeffrey Edwards le 29 avril dernier dans la décision Commission des normes du travail c. Groupe HMX Inc.[1] suivant les plaidoiries de Me Vincent Kaltenback de notre étude.

 

Dans cette affaire, l’employeur, propriétaire, administrateur et actionnaire majoritaire des trois compagnies, est partie en voyage, pour raison d’affaires, durant lequel il a demandé à ses employés, plus particulièrement à ceux qui s’occupaient de la facturation, de s’assurer que les comptes soient envoyés aux clients. Lors de son retour de voyage, la facturation n’a pas été faite et il apprend qu’il n’a pas les moyens d’émettre les chèques de paies. Il s’est donc engagé à ce que tous soient payés quelques jours plus tard qu’habituellement.

 

Mécontent du fait que son patron repousse la paie de quelques jours, un employé est parti avec des dossiers de l’entreprise y compris 1500 fiches clients, a effacé des données de son ordinateur et gardé des chèques-cadeaux remis par des clients. Un autre employé – la réclamation sur laquelle l’analyse du tribunal ci-dessous porte – a changé le mot de passe de son ordinateur empêchant ainsi l’accès à des documents importants de fin de projet. Dans une réunion suivant ces événements, ces employés font du chantage et affirment que rien ne sera remis tant qu’ils ne reçoivent pas de manière immédiate, le paiement de tout montant dû en plus de leur « 4% ». En bref, les trois employés demandeurs démissionnent et intentent par la suite un recours contre leur ancien employeur pour le salaire et les congés impayés.

 

L’Honorable juge Edwards qualifie, dans un premier temps, les actes posés par ces employés d’actes répréhensibles de loyauté et fait droit à l’argument de l’employeur selon lequel ces actes constituent une fin de non-recevoir à la réclamation intentée. En effet, il mentionne que le salarié aurait eu un nombre important de recours « pour assurer le respect intégral et sans retard de ses droits » mais qu’en décidant de se faire justice lui-même en tentant de forcer l’employeur à le payer en retenant et en s’appropriant sans droit la propriété de ce dernier, il a plutôt été privé d’exercer ses droits en justice.

 

À cet égard, voici quelques passages tirés de cette décision :

 

[45]        De manière conséquente au raisonnement selon lequel la CNT, lorsqu’elle prend un recours pour le compte d’un employé, n’a pas plus de droits que l’employé, ce qui permet notamment la défense fondée sur la compensation légale, les tribunaux ont également reconnu, et cela est admis par la procureure de la CNT, que l’employeur peut valablement défaire une réclamation de la CNT, lorsque le tribunal oppose à la réclamation une fin de non-recevoir.

[46]        En effet, dans l’arrêt Corporation Cité-Joie inc. c. Commission des normes du travail, la Cour d’appel s’est exprimée ainsi :

« Le dol, le mensonge ou la fausse représentation d’un salarié à son employeur constitue une fin de non-recevoir opposable au recours qu’il pourrait exercer, ou que la Commission des normes du travail pourrait vouloir exercer en son nom, contre son employeur. »

[…]

[62]        C’était un acte criminel de méfait et de sabotage d’une entreprise commerciale. [L’employé] a été inculpé de cette accusation et en a été trouvé coupable. En agissant ainsi, il a saboté les oeuvres journalistiques et artistiques de son employeur en y bloquant l’accès au moment même où l’employeur en avait besoin. En se livrant à de telles actions, M. Ochoa a en réalité détruit la propriété de son employeur et de même, il a rétroactivement anéanti et réduit à zéro toute valeur aux heures de travail qu’il réclamait ainsi qu’à certaines heures de travail passées, y compris des semaines d’ouvrage pour lesquelles il a été payé.

 

Le tribunal refuse de banaliser ou de minimiser les actes de sabotage et de vandalisme des biens appartenant à l’employeur puisque sa mission est « de veiller à une société régie par la règle du droit et non par la loi de la jungle ». Il rejette également l’argument de la Commission des normes du travail selon lequel la fin de non-recevoir peut uniquement sanctionner et paralyser une créance née après le geste répréhensible et non avant, cette interprétation étant « indûment restrictive et contraire aux autorités applicables de la jurisprudence et de la doctrine. Elle n’est pas conforme ni aux textes mentionnés ci-dessus décrivant le cadre juridique de ce mécanisme judiciaire, ni à l’esprit que véhicule cette sanction judiciaire. Tel que mentionné, cette sanction est fondée sur l’exigence de la bonne foi, la faute importante de celui dont le recours est paralysé et la discrétion judiciaire » (par. 71).

 

En conclusion et pour les raisons précitées, le tribunal n’a pas fait droit à sa réclamation pour les heures impayées, mais a tout de même accordé une indemnité pour congé annuel, soit le 4% du salaire gagné.

[1] Commission des normes du travail c. Groupe HMX inc., 2015 QCCQ 3403.

Chloé Parent-Lemieux

DU DOSSIER SUSPENDU AU FIASCO JURIDIQUE

Par : Chloé Parent-Lemieux

Du dossier suspendu au fiasco juridique

Le 1er avril 2009, le recours en dommages compensatoires et moraux de Dany Villanueva et de la succession de Fredy Villanueva fut suspendu par l’honorable juge Jean-Francois de Granpré, afin de laisser l’enquête publique suivre son cours. On se rappellera que l’affaire avait été très médiatisée, s’agissant de la mort par balle d’un jeune homme de dix-huit ans sans antécédent judiciaire,à la suite d’une intervention policière,

Dans sa décision, le juge de Granpré énonçait que le délai de rigueur de 180 jours recommençait à courir suite au dépôt du rapport du coroner. Ce dernier fut publié le 17 décembre 2013, le délai pour inscrire expirant désormais le 27 avril 2014. Or, ce n’est que le 31 décembre 2014 que l’avocat des parties fait signe de vie en signifiant un nouvel avis de présentation afin de réactiver la demande. Jugeant cette manière de procéder inappropriée, l’honorable juge David Collier ordonne à l’avocat de procéder par requête appuyée de déclaration sous serment justifiant les délais. De ce fait, l’avocat des parties présentera le 19 février 2016 une requête en annulation de la suspension d’instance, soit un an après la date de présentation initiale et 10 mois après l’expiration du délai pour inscrire la demande pour enquête et audition. Le retard total était de 22 mois.

Les remarques préliminaires du jugement donnent le ton à ce qui est à venir. En effet, l’honorable William Fraiberg indique que la requête serait à prime à bord irrecevable puisqu’elle n’a aucune finalité reconnue. Il écrira :

 [85]        Quand comme en l’espèce la défense est écrite, à défaut de convention ou autorisation de défense orale[1] le délai est plutôt pour l’inscrire pour enquête et audition et cela dans les 180 jours à compter de sa signification à moins d’être prolongé par la Cour dans ce même délai en raison de la complexité de l’affaire ou des circonstances spéciales; ou le cas échéant, en dehors de ce délai pour les mêmes motifs si la partie demanderesse démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir à l’intérieur du délai.

[86]        Plus d’un an après être réputés s’être désistés de leur demande en vertu de l’article 274.3 ACPC, aucun des demandeurs ne reconnaît même pas son défaut de l’avoir inscrite dans le délai de rigueur.

[87]        Aucun ne demande donc d’être relevé du défaut pour avoir été dans l’impossibilité en fait d’agir et aucun ne demande de prolonger le délai d’inscrire dès son expiration le 25 ou 27 avril 2014 jusqu’à six mois du jugement à intervenir.

[88]        Les demandeurs et leurs procureurs ont fait preuve d’une négligence caractérisée dans la conduite de leur recours.  Ils n’ont fourni aucune explication le moindrement raisonnable pour expliquer ou justifier cette négligence.

Afin de décider si la Cour allait user de sa discrétion pour relever les demandeurs de leur défaut d’inscription, le juge devait préalablement étudier la question de l’impossibilité du fait d’inscrire dans les délais de rigueur. Le juge Fraiberg arrive à la conclusion que : « son défaut d’inscrire la demande à temps résultait d’une insouciance flagrante, de sa négligence grossière ou de son ignorance d’une règle fondamentale de la loi régissant la procédure civile, laquelle constituerait elle-même de la négligence grossière dans les circonstances.  Il semble avoir tout simplement abandonné le dossier ».

Se basant sur l’arrêt Zodiac (1) le juge Fraiberg énonce que bien que l’avocat ait failli à ses obligations, les demandeurs peuvent demander à être relevés de leur défaut en raison d’une impossibilité en fait d’agir. Pour ce faire, le juge doit pondérer quatre considérations :

  1. le préjudice qui résultera de la décision
  2. le caractère apparemment sérieux du recours
  3. le temps écoulé depuis le délai
  4. le comportement à l’égard du déroulement de l’instance

Concernant le préjudice, la Cour arrive à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’une considération déterminante puisque les demandeurs peuvent toujours poursuivre leur avocat couvert par le Fond d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec. De plus, la considération du temps vient aussi amoindrir les chances de réussites de la requête puisque les délais d’inscription, ainsi que ceux liés à la requête pour être relevés du défaut sont aux dires de la Cour « exorbitants et injustifiables ».

Suite à son analyse, la Cour conclut que :

[141]     En conséquence de sa pondération des quatre considérations prescrites par l’arrêt Zodiac, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu de relever les demandeurs de leur défaut d’inscrire les deux demandes dans le délai obligatoire de l’article 110.1 ACPC à supposer que l’insouciance ou la négligence grossière de leurs avocats constituait une impossibilité en fait pour eux d’agir.

S’agissant d’un recours de plus d’un million, il est à parier que le Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec aura certains échos de l’affaire…

(1) 2949-4747 Québec inc. c. Zodiac of North America Inc., 2015 QCCA 1751

 


Sources :Villanueva c. Montréal (Ville de) 2016 QCCS 2366

Me Alain Barrette

IL EST URGENT DE DÉFINIR L’URGENCE

Par : Me Alain Barrette

Comment définir le critère de l’urgence dans le cadre d’une demande d’ordonnance de sauvegarde en matière d’injonction en vertu de 754.2 C.p.c. (ancien) ?

Le juge Gérard Dugré s’est fait rappeler à l’ordre par la Cour d’appel à ce sujet, dans l’affaire Tremblay c. Cast Steel Products (Canada) Ltd, 2015 QCCA 1952 (Jugement de première instance Cast Steel Products (Canada) Ltd. c. Tremblay, 2015 QCCS 3507). Dans ce dossier, Cast Steel demande l’émission d’une injonction interlocutoire pour forcer le respect d’une clause de non-sollicitation /non-concurrence contenue dans un contrat d’emploi. Elle ne requiert pas l’émission d’une ordonnance d’injonction provisoire. Par contre, voyant qu’elle ne sera pas entendue rapidement sur l’interlocutoire, elle requiert l’émission d’une ordonnance de sauvegarde pour obliger Tremblay, et son nouvel employeur V-Tech, à respecter les termes de son contrat

Le juge Dugré analyse la demande en distinguant l’ordonnance de sauvegarde de l’ordonnance d’injonction provisoire. Essentiellement ce sont les mêmes critères qui s’appliquent, à savoir l’urgence, l’apparence de droit, le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients. Cependant, le critère de l’urgence s’apprécie différemment en matière d’ordonnance de sauvegarde, selon l’honorable juge. Il réduit ce critère au maintien du statu quo pendant l’instance à l’égard de toutes les parties :

[35]        Le tribunal est d’avis qu’il y a urgence de maintenir le statu quo à l’égard de toutes les parties jusqu’à l’audition de la demande d’injonction interlocutoire le 24 novembre prochain. Il reste à déterminer si les demanderesses remplissent les trois autres critères régissant l’émission d’ordonnances de sauvegarde, sur lesquels il importe maintenant de se pencher.

Son analyse s’arrête là quant à l’urgence et, procédant à l’analyse des trois autres critères, émet une ordonnance de sauvegarde obligeant Tremblay et V-Tech à ne pas contrevenir aux obligations résultant du contrat d’emploi.

La Cour d’appel casse la décision, étant d’avis que l’analyse du critère de l’urgence aurait dû être faite et ne l’a pas été. La Cour énonce :

[12]        De la même façon, s’il est vrai que la nécessité de maintenir le statu quo ou de rétablir l’équilibre entre les parties durant l’instance peut être considéré par le juge saisi d’une demande d’ordonnance de sauvegarde dans certaines circonstances, ce ne doit pas être l’occasion de court-circuiter les exigences requises pour l’émission provisoire d’une injonction interlocutoire et d’éviter les conditions d’un tel octroi, tel que le signalait le juge Delisle dans la décision Aubut c. Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux):

[6]        Le simple fait de signifier une procédure d’injonction n’entraîne pas le droit à des ordonnances de sauvegarde. Ce serait là court-circuiter les exigences requises pour l’émission provisoire d’une injonction interlocutoire et éviter les conditions d’un tel octroi.

[7]        Il est encore moins question de présenter tout simplement un dossier incomplet pour enclencher le droit à une ordonnance de sauvegarde.

Selon la Cour, le critère de l’urgence doit être soupesé de la même façon en ce qui concerne l’ordonnance provisoire que celle dite de sauvegarde, étant donné que dans les deux cas, le dossier est à un stade préliminaire et incomplet et n’offre pas les garanties juridiques habituelles découlant d’une audition complète. De plus, la Cour (opinion du juge Vézina) semble d’avis que la durée de l’ordonnance de sauvegarde prononcée (environ 4 mois) excède la limite de 10 jours de l’ordonnance provisoire et par conséquent serait trop longue.

Le 14 décembre 2015, suite au prononcé du jugement de la Cour d’appel, un autre jugement est rendu par la Cour supérieure dans le même dossier au sujet de l’émission, encore une fois, d’une ordonnance de sauvegarde (Cast Steel Products (Canada) Ltd. c. Tremblay, 2015 QCCS 5927 – juge Chantal Corriveau). La juge ayant le bénéfice de l’enseignement de la Cour d’appel, procède à l’analyse du critère de l’urgence. Voici comment elle fait son analyse :

[34]        Le critère d’urgence est rencontré si le Tribunal est d’avis qu’il faille protéger, durant l’instance, les droits des parties eu égard à une preuve qui demeure parcellaire.

[35]        Dans le cas sous étude, étant donné que Tremblay demandent au Tribunal de déclarer que le contrat leur est inopposable et qu’ils refusent de consentir à l’émission d’une ordonnance de sauvegarde même restreinte en présence d’un contrat actuellement en vigueur et compte tenu de l’étendue des comportements de Tremblay observés dans le présent dossier et dont il est fait état, le Tribunal conclut que le critère d’urgence est rencontré.

[36]        Il demeure actuellement urgent qu’une ordonnance, même limitée, soit prononcée afin de contraindre Tremblay à respecter les termes de son contrat de service durant sa durée. (Nous accentuons)

Or, que dit de plus la juge Corriveau que le juge Dugré concernant l’analyse du critère de l’urgence ? Rien à notre avis, ce qui met en lumière la difficulté d’analyser ce critère de façon totalement détaché des trois autres, notamment de celui de l’apparence de droit et du préjudice irréparable. Nous notons que la juge Corriveau mentionne, dans son analyse de l’urgence, l’existence d’un « contrat actuellement en vigueur », alors qu’elle reprend la même idée (par. 37) dans son analyse du droit apparent. Quant à « l’étendue des comportements de Tremblay », question analysée sous l’angle de l’urgence, elle est reprise sous l’analyse du préjudice irréparable (par. 41).

Il est à se demander si, en matière d’ordonnance de sauvegarde, le critère de l’urgence est un critère vraiment distinct de l’apparence de droit et du préjudice irréparable. Rien n’est moins sûr, d’autant plus que la Cour d’appel, quoique critique à l’endroit du juge Dugré, se garde bien de définir elle-même ce que contient spécifiquement ce critère et de quelle façon exactement l’analyse de ce critère aurait pu être faite pour conduire à un résultat différent de celui auquel le juge Dugré s’est rendu, de même incidemment et essentiellement par la juge Corriveau.

Le Nouveau Code de procédure civile ne reprend pas 754.2 C.p.c. Les ordonnances de sauvegarde, qui sont prévues à l’article 49 N.C.p.c. (ancien 46 C.p.c.), et à 158 N.C.p.c. qui se lit ainsi :

À tout moment de l’instance, le tribunal peut, à titre de mesures de gestion, prendre, d’office ou sur demande, l’une ou l’autre des décisions suivantes:

[…];

5° statuer sur les demandes particulières faites par les parties, modifier le protocole de l’instance ou autoriser ou ordonner les mesures provisionnelles ou de sauvegarde qu’il estime appropriées;

[…];

prononcer une ordonnance de sauvegarde dont la durée ne peut excéder six mois.

Reste à voir si l’analyse du critère de l’urgence, notamment en matière d’injonction, continuera de faire difficulté à l’avenir et s’il voudra dire autre chose que le maintien du statu quo pendant l’instance.

 


Sources : Tremblay c. Cast Steel Products (Canada) Ltd, 2015 QCCA 1952 et Cast Steel Products (Canada) Ltd. c. Tremblay, 2015 QCCS 3507

Me Alain Barrette

UNE GRILLE D’ANALYSE COMPLÈTE POUR LES REQUÊTES POUR ÊTRE RELEVÉ DU DÉFAUT D’INSCRIRE

Par : Me Alain Barrette

Une partie demanderesse demande d’être relevée de son défaut d’inscrire avant l’expiration du délai de 180 jours. La Cour supérieure refuse et la demanderesse se pourvoit en appel. La Cour d’appel (motifs du juge Robert Mainville) rejette le pourvoi en faisant une revue détaillée des principes applicables en les systématisant dans une grille d’analyse qui, souhaitons-le, servira de référence afin de répondre à toute demande en ce sens dans l’avenir. En principe, cette décision devrait être la décision phare en la matière.

L’action est signifiée le 21 mai 2012 et l’échéancier, signé le 26 juillet 2012, prévoit la production d’une inscription le 12 novembre 2012 au plus tard.

Un interrogatoire a lieu en août 2012. Quatre-vingts objections sont formulées et vingt-six engagements sont souscrits par la demanderesse. Les engagements ne seront pas fournis dans les délais prévus à l’échéancier.

La veille de la date d’expiration du délai pour inscrire, une requête en prolongation de délai est signifiée. La Cour accueille cette requête et prolonge le délai au 27 février 2013, en imposant aux parties de déposer un nouvel échéancier lors du débat sur les objections, qui aura lieu le 5 février 2013. Or, les parties ne déposent aucun échéancier et le délai pour inscrire expire sans le dépôt d’une inscription. Il y a désistement réputé (274.3 C.p.c.).

Environ 4 mois plus tard, la demanderesse fait signifier une requête en prolongation de délai. À l’audition, la demanderesse réalise son erreur procédurale et demande verbalement d’être relevée de son défaut d’inscrire. La Cour refuse mais lui accorde jusqu’au 26 juin 2013 pour faire signifier sa requête écrite, qui ne le sera finalement que le 17 juillet suivant. À son soutien, elle y allègue des modifications à son système de comptabilité et ses propres activités commerciales. Cette requête est rejetée (Juge Danielle Turcotte) vu le manque de rigueur de l’appelante et l’absence d’affidavit d’un représentant de la demanderesse.

La Cour d’appel énonce l’obligation de franchir deux étapes pour permettre à une partie d’être relevée de son défaut d’inscrire selon 110.1 C.p.c. :

  1. Première étape: La partie doit démontrer son impossibilité, en fait, d’agir dans le délai prescrit :
    • Il s’agit non pas d’une impossibilité qui résulte d’un obstacle invincible et indépendant de la volonté de la partie défaillante, mais d’une impossibilité « relative » – application de St-Hilaire c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 235, par. 86 ;
    • L’impossibilité d’agir est celle de la partie elle-même et non celle de son procureur, même si ce dernier commet une négligence grossière – application de Cité de Pont-Viau c. Gauthier, [1978] 2 R.C.S. 526 (note 1, p. 527) + Québec (Sous-ministre du Revenu c. Stever, 2007 QCCA 257, par. 5 ;
    • Le fardeau de démonstration de l’impossibilité d’agir repose sur la partie défaillante et la preuve doit être suffisamment « claire et convaincante » pour satisfaire au critère de la balance des probabilités – application de H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41, par. 46 ;
  2. Deuxième étape: Le tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire en suivant les considérations pertinentes dont les principales sont les suivantes :
    • Le préjudice résultant de la décision :
      • Obligation de payer les frais résultant du désistement réputée si refus de relever du défaut d’inscrire. Ce préjudice est peu important – Genest c. Labelle, 2009 QCCA 2438, par. 44-48 ;
      • Perte de droits résultant de la prescription par la partie défaillante – perte du bénéfice de la prescription par l’autre partie (préjudice à double sens) ;
    • Le caractère apparemment sérieux du recours : Ce critère est relié au préjudice relié à la prescription du recours. La requête pour être relevé du défaut devrait être rejetée si le recours ne présente pas une chance raisonnable de succès, est manifestement sans fondement ou est futile ;
    • Le temps écoulé depuis l’expiration du délai. Il se divise en deux périodes :
      • Celle entre la date limite pour inscrire et celle où le retard est constaté : Ce délai est justifié si sa durée est compatible avec l’erreur alléguée ;
      • Celle entre la date de constatation de l’erreur et la date de signification de la requête : cette période doit être « très courte » ;
    • Le comportement à l’égard du déroulement de l’instance – deux types :
      • L’erreur de bonne foi, qui peut résulter d’une négligence, même grossière. Exemple : L’omission d’inscrire la date limite pour inscrire à l’agenda ou l’inscription d’une date erronée ; l’ignorance de la nécessité d’inscrire à l’intérieur du délai de 180 jours ; la croyance erronée d’avoir produit l’inscription ;
      • La négligence grave, désorganisation générale ou insouciance à l’égard du déroulement de l’instance. Ce type de comportement entraîne le rejet de la requête.
        • À l’inverse, si ce comportement émane de la partie adverse, le tribunal serait bien fondé d’accueillir la requête ;
        • Si la partie elle-même ignore les manquements de son procureur, il s’agit d’un facteur atténuant et il lui appartient d’en faire la preuve (par affidavit) ;

En l’espèce, la Cour estime que la première étape est franchie puisque l’impossibilité d’agir résulte d’une erreur de l’avocat qui aurait omis de noter à son agenda la bonne date d’expiration du délai pour inscrire. Cependant, cette erreur peut être prise en compte dans le cadre des considérations pertinentes à l’exercice de la discrétion judiciaire du tribunal dans la deuxième étape. La Cour estime que le tribunal de première instance a bien exercé sa discrétion en rejetant la requête pour les motifs suivants :

  1. Critère 2a)ii) : La réclamation n’est pas prescrite, sauf pour une petite partie qui concerne une réclamation concernant la perte de revenus bruts, dont le sérieux est questionnable puisque seule la perte de profit peut être réclamée (critère 2b)) ;
  1. Le délai couru entre le 26 juin (date prescrite par le tribunal pour faire signifier une requête écrite pour être relevé du défaut d’inscrire) et le 17 juillet, date où la requête est signifiée, est inexpliqué ;
  1. Il y a négligence grave, désorganisation générale ou insouciance à l’égard du déroulement de l’instance (Critère 2d)ii)), en ce que :
    • Les engagements souscrits n’ont pas été fournis dans le délai prévu à l’échéancier (31 août), malgré 3 lettres à cet effet demeurées sans réponse. Une partie des engagements seulement est transmise le 17 octobre et ne seront jamais tous transmis ;
    • Trois lettres requérant les disponibilités des procureurs pour faire trancher les objections demeurent sans réponse ;
    • La veille de l’expiration du premier délai pour inscrire, une requête en prolongation est signifiée et la gestion particulière de l’instance, qui devait être discutée lors du débat sur les objections le 5 février 2013, ne le sera pas ;

La date du 21 juin 2013 inscrite à l’agenda comme date ultime d’inscription est une erreur de taille « qui s’inscrit dans ce contexte global de gestion insouciante de l’instance et du dossier ». Note : la partie elle-même admet l’insouciance de son procureur qui aurait été congédié du cabinet d’avocats où il exerçait. La Cour estime que même s’il s’agit du manque de diligence du procureur, et non de la partie elle-même, l’imposition d’une sanction – même sévère – se justifie – application de Genest c. Labelle, 2009 QCCA 2438 (par. 39) et de 6270791 Canada inc. c. Cusacorp Management Ltd., 2010 QCCA 1814 (par. 37). La Cour ajoute que la partie elle-même est responsable du délai puisqu’elle « était trop occupée pour fournir les réponses aux engagements. ».

Sur la question spécifique du pouvoir de révision de la Cour d’appel :

  1. Au sujet de la première étape : Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante à moins que le juge de première instance n’ait commis une erreur de principe ou de droit isolable, auquel cas l’erreur peut constituer une erreur de droit (par. 18) ;
  1. Au sujet de la deuxième étape : la décision n’est révisable que si elle est abusive, déraisonnable ou non judiciaire, i.e. fondée sur des considérations erronées, et commande une grande référence (par. 23) ;

En l’espèce, la juge de première instance n’a pas rendu une décision abusive ou fondée sur des considérations erronées et l’appel doit échouer.

Conclusion : La négligence de l’avocat est tantôt source de perte de droit, tantôt non, selon l’appréciation de critères dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du tribunal certains facteurs sont pondérés les uns par rapport aux autres. Il convient de noter un durcissement des tribunaux à l’égard des demandes pour être relevé du défaut d’inscrire, et la partie elle-même doit être pratiquement irréprochable dans la conduite de son dossier. En l’espèce, la non-prescription du recours et la négligence de la partie elle-même à fournir des engagements ont joué contre elle.

** Les articles précités sont ceux du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25.

 


Source : 2949-4747 Québec inc. c. Zodiac of North America inc., 2015 QCCA 1751 (le 21 octobre 2015).